Poésie : Germanicus
Titre : Germanicus
Poète : Amable Tastu (1798-1885)
Pourquoi des anciens jours réveiller la mémoire ?
Ma voix suffirait elle à leur immense gloire ?
Laissez, laissez dormir les antiques douleurs,
Ne forcez point mes yeux à se mouiller de pleurs.
Parti du fond de la Syrie,
Quel cri d'effroi glace nos cœurs ?
Ô mort ! ton aveugle furie
Est le signal de nos malheurs !
Il est tombé l'espoir de la patrie ;
Germanicus, nova désormais sacré,
Germanicus, héros trop tôt pleuré,
Tu meurs ; tes amis en silence
Recueillent ton dernier soupir,
Et ce mot, vengeance, vengeance !
Retentit dans leur souvenir.
Déjà la publique colère
Dénonce tout bas le poison,
Préparé des mains de Tibère,
Versé par les mains de Pison.
Tremble, Pison, le châtiment s'apprête :
Ils sont courts tes honteux honneurs ;
Bientôt, pour apaiser d'importunes terreurs,
Un maître soupçonneux demandera ta tête.
Tel l'assassin épouvanté
Craint jusqu'aux instruments funèbres,
Ministres de sa cruauté,
Et seul, fuyant dans les ténèbres,
Brise son glaive ensanglanté.
Quelle est la nef aux flancs agiles
Qui sillonne l'azur des flots ?
Du sein de ses voiles mobiles
S'exilaient de plaintifs sanglots.
Hélas ! ce navire funeste,
Mais cher aux Romains attendris,
Du grand Germanicus porte tout ce qui reste :
Ses cendres, sa veuve et ses fils !
Peuple, cours au rivage ; et toi, belle Italie,
Reçois avec respect ces funèbres trésors !
Aux transports douloureux qui seuls Pont accueillie,
L'épouse du héros a reconnu tes bords.
Vainement de ses maux on voudrait la distraire,
Attirer ses regards vers la terre abaissés,
La soulager du poids de l'urne funéraire,
Ou du soin de ses fils autour d'elle pressés ;
L'intérêt puissant qu'elle inspire
Flatte son altière douleur,
Et la fierté qui sur son front respire
Semble l'orgueil de son malheur.
Déjà la cité souveraine
Ouvre ses immortels remparts ;
Restes d'un demi-dieu, déjà de toutes parts
S'élève à votre aspect une clameur soudaine.
Orateurs, magistrats, pontifes, sénateurs,
Laissent l'autel désert, l'échafaud sans licteurs ;
Au deuil universel leurs tristes voix s'unissent,
La tribune se tait, les feux sacrés pâlissent,
Les chants religieux suspendent leurs accords ;
Ces cris d'un peuple entier qui redemande un père,
Dans le fond du palais où se cache Tibère,
Éveillent les remords.
Romains, laissez couler vos larmes !
Qui vous rendra jamais les biens que vous perdez ?
Ces jours trop peu connus d'un règne sans alarmes,
Fn vain aux Dieux jaloux trop souvent demandés ?
Rome, si de l'objet de sa douleur profonde
Elle eût reçu les lois,
Aurait connu dès-lors ces délices du monde
Qu'on ne vit qu'une fois !