Poésie : Le portrait
Titre : Le portrait
Poète : Antoine Fontaney (1803-1837)
Cet émail où de son visage
Le pinceau n'a tracé qu'une imparfaite image,
Sans me la rappeler charme encore mon regard ;
Devais-je espérer davantage
De l'œuvre d'un mortel et des efforts de l'art ?
Ce monde connaît-il une autre ressemblance ?
Oh ! Combien cependant ce visage est glacé
Près de celui que le temps et l'absence
De mon cœur n'ont point effacé,
Près de celui que m'ont laissé
Les souvenirs de sa présence !
Voilà son front, ses yeux, voilà bien tous ses traits,
Peut-être elle n'est pas plus belle ;
Et cependant ce n'est pas elle !
Ah ! Si je n'avais vu que ses mortels attraits
Sous leur esquisse encore je la reconnaîtrais ;
Pourquoi dans ses regards de flamme
M'a-t-elle révélé son âme ?
Cette âme, qu'elle me montrait,
Sur l'émail ne l'a point suivie :
Image infidèle et sans vie,
Oh ! Non, tu n’es pas son portrait !
Mais n'a-t-il rien conservé d'elle ?
Et s'il est loin de son modèle,
Des mortelles beautés n'est-il donc pas vainqueur ?
N'ai-je pas vu sa main timide,
De mes larmes encore humide,
Le jour de son départ, le poser sur mon cœur ?
Elle tremblait alors, et son triste sourire
Me cachait mal les pleurs qui roulaient dans ses yeux ;
Ah ! L’adieu qu'ils semblaient me dire,
C'était un de ces longs adieux
Dont tout l'espoir est dans les cieux.
Avec effroi, d'une éternelle absence
Elle entrevoyait l'avenir ;
Elle doutait de ma constance,
Comme si cet exil qui m'ôtait l'espérance
Devait m'ôter le souvenir !
Comme si l’océan, le temps et la distance,
En séparant notre existence,
Devaient aussi la désunir !
Un seul de mes regards dissipa ce nuage
Dont j'avais vu les siens se voiler un moment ;
Nous nous étions compris dans ce muet langage :
Elle n'ignorait plus, en quittant son amant,
Que ce portrait, touchant et dernier gage
D'un amour si divin, d'un si pur sentiment,
Près de mon cœur placé par elle,
Tant que ce cœur palpiterait,
Dans ses élans jamais ne surprendrait
Un seul soupir qui lui fût infidèle.
Ce talisman sacré, mon unique trésor,
Sur mon sein palpitant ma main le presse encore :
Tant qu'elle s'ouvrira pour former cette étreinte,
Mes yeux vers l'avenir se tourneront sans crainte ;
Et lorsque enfin viendra le moment de mourir
Et d'aller retrouver dans une autre patrie
Cette divinité qu'ici-bas j'ai chérie,
Pour l'éternel sommeil avant de m'assoupir,
Approchant ce portrait de ma bouche flétrie,
Dans un dernier regard, dans un dernier soupir,
J’exhalerai sur lui mon amour et ma vie !