Poésie : Le portrait
Titre : Le portrait
Poète : Germain Nouveau (1851-1920)
Depuis longtemps, je voudrais faire
Son portrait, en pied, suis-moi bien :
Quand elle prend son air sévère,
Elle ne bouge et ne dit rien.
Ne croyez pas qu'Elle ne rie
Assez souvent ; alors, je vois
Luire un peu de sorcellerie
Dans les arcanes de sa voix.
Impérieuse, à n'y pas croire !
Pour le moment, pour son portrait,
(Encadré d'or pur, sur ivoire)
Plus sérieuse... qu'un décret.
Suivez-moi bien : son Âme est belle
Autant que son visage est beau,
Un peu plus... si je me rappelle
Que Psyché se rit du Tombeau.
Tout le Ciel est dans ses prunelles
Dont l'éclat... efface le jour,
Et qu'emplissent les éternelles
Magnificences de l'Amour ;
Et ses paupières sont ouvertes
Sur le vague de leur azur,
Toutes grandes et bien mieux, certes,
Que le firmament le plus pur.
L'arc brun de ses grands sourcils, digne
De la flèche d'amours rieurs,
Est presque un demi-cercle, signe
De sentiments supérieurs.
Sans ride morose ou vulgaire,
Son front, couronné... de mes vœux,
En fait de nuages n'a guère
Que l'ombre douce des cheveux.
Quand elle a dénoué sa tresse
Où flottent de légers parfums,
Sa chevelure la caresse
Par cascades de baisers bruns,
Qui se terminent en fumée
À l'autre bout de la maison,
Et quand sa natte est refermée
C'est la plus étroite prison,
Le nez aquilin est la marque
D'une âme prompte à la fureur,
Le sien serait donc d'un monarque
Ou d'une fille d'empereur ;
Ses deux narines frémissantes
Disent tout un trésor voilé
De délicatesses puissantes
Au fond duquel nul est allé.
Ses lèvres ont toutes les grâces
Comme ses yeux ont tout l'Amour,
Elles sont roses, point trop grasses,
Et d'un spirituel contour.
Ho, çà ! Monsieur, prenez bien garde
À tous les mots que vous jetez,
Son oreille fine les garde
Longtemps, comme des vérités.
L'ensemble vit, pense, palpite ;
L'ovale est fait de doux raccords ;
Et la tête est plutôt petite,
Proportionnée à son corps.
Esquissons sous sa nuque brune
Son cou qui semble... oh ! yes, indeed !
La Tour d'ivoire, sous la lune
Qui baigne la Tour de David ;
Laquelle, loin que je badine,
Existe encor, nous la voyons
Sur l'album de la Palestine,
Chez les gros marchands de crayons.
Je voudrais faire... les épaules.
Ici, madame, permettez
Que j'écarte l'ombre des saules
Que sur ces belles vous jetez...
Non ? vous aimez mieux cette robe
Teinte de la pourpre que Tyr
À ses coquillages dérobe
Dont son art vient de vous vêtir ;
Vous préférez à la nature
D'avant la pomme ou le péché,
Cette lâche et noble ceinture
Où votre pouce s'est caché.
Mais votre peintre aime l'éloge,
Et... l'on est le premier venu
Fort indigne d'entrer en loge,
Si l'on ne sait rendre le nu ;
S'il ne peut fondre avec noblesse
Cette indifférence d'acier
Où sa réflexion vous laisse,
Comment fera-t-il votre pied ?
Vos mains mignonnes, encor passe ;
Mais votre pied d'enfant de rois
Dont la cambrure se prélasse
Ainsi qu'un pont sur les cinq doigts,
Qu'on ne peut toucher sans qu'il parte
Avec un vif frémissement
Des doigts dont le pouce s'écarte,
Comme pour un... commandement...
Vous persistez, c'est votre affaire,
Faites, faites, ça m'est égal !
Je barbouille tout, de colère...
Et tant pis pour mon madrigal !