Poésie : Le pèlerin
Titre : Le pèlerin
Poète : Joseph Autran (1813-1877)
C'est le même sentier qui longe la colline :
L'yeuse encore y pousse et la fraîche aubépine ;
Et l'air qu'on y respire aux lisières du bois
Brille aussi transparent, aussi pur qu'autrefois.
Autrefois !... mot pétri d'amertume et de charmes ;
Ciel qu'on admire au loin, même à travers ses larmes ;
Profondeur fugitive, horizon du matin,
D'autant plus enchanté qu'on le voit plus lointain !
Qui de nous, l'insensé de même que le sage,
Ne s'arrête parfois à moitié du voyage,
Et, là-bas, dans ce ciel déjà presque effacé,
N'aime à revoir, pensif, les ombres du passé ?...
C'est donc ce vert sentier, qui monte et qui serpente,
Que je suivais un jour, conduisant sur sa pente,
Escortant pas à pas, moi guide et compagnon,
Un aïeul dont le siècle a célébré le nom,
Un de ces voyageurs dont le pied, quand il passe,
Imprime sur le sol une immortelle trace.
Rochers au flanc moussu qui bordez le sentier,
Arbustes du coteau, noir troène, églantier,
Source dormant à l'ombre où la chèvre vient boire,
Vous en souvenez-vous ? C'était lui dans sa gloire :
Celui qui, jeune encore, et tandis qu'à grand bruit
S'écroulait parmi nous l'ancien monde détruit,
S'en allait sur les mers, transfuge poétique
Des côtes de Bretagne aux plages d'Amérique ;
Celui qui parcourut les bois, qui connut là
Le Sachem racontant les larmes d'Atala ;
Qui, lui-même, à son tour, au sauvage auditoire
Des songes de René conta l'étrange histoire,
Pendant que le soleil, au bord des cieux tombé,
Teignait de rose et d'or l'eau du Meschacebé ;
Celui qui, revenu par les sentiers de l'onde
Des bords de la Floride aux terres du vieux monde,
Sur tous les grands débris, poète, allait s'asseoir,
Marchait, songeait, rêvait, à Rome entrait un soir,
Et, sur les marbres teints d'un jour crépusculaire,
Croyait voir en reflet la pourpre consulaire !
Qui, secouant du pied la cendre des Césars,
Epris de tous les cieux et de tous les hasards,
Repartait, poursuivait d'autres ombres lointaines,
Abordait au rivage où fut jadis Athènes,
Adorait la poussière au pied du Parthénon,
Courait à Sparte, et là, le cœur plein d'un seul nom,
Criait : Léonidas ! Du haut de la colline.
Et, dans cette campagne où le néant domine,
S'étonnait du silence où tout gît confondu,
Et que, de tant d'échos, pas un n'eût répondu !...
Celui qui vous cherchait aussi, dans vos décombres,
Sion, Jérusalem, cité des saintes ombres !
Qui veillait une nuit dans le sacré jardin ;
Qui buvait, en passant, à l'onde du Jourdain ;
Qui du fleuve, où Jésus un jour entra lui-même,
Eût voulu rapporter comme un nouveau baptême !
Celui qui, mêlant tout, la gloire et le néant.
Les rêves de l'artiste à l'orgueil du géant.
La foi du chevalier aux amours du trouvère,
Les choses qu'on dédaigne aux choses qu'on révère,
Essayait, — noble cœur, pris d'un zèle immortel, —
De relever un trône et d'asseoir un autel ;
Puis, déçu dans l'espoir, trompé dans le génie.
Flagellait sa ferveur de sa propre ironie,
Et courait de nouveau, dans quelque enclos lointain,
Arroser en sifflant ses roses d'un matin !
Celui qui fut, trente ans, le bruit, l'éclat, la vie,
La louange commune et la commune envie,
Le prestige et la gloire et le charme de tous ;
Dont César triomphant lui-même fut jaloux ;
Et qui dort, maintenant, sur sa rive bretonne,
En face de la mer immense et monotone,
En face de la mer, dont les flots, par moments,
Viennent dans le tombeau chercher les ossements,
Et là, sur cette grève écumante et confuse,
En font de blancs galets dont le roulis s'amuse !
Donc, au retour des lieux par la mort envahis,
Un jour qu'il traversait ta plaine, ô mon pays !
Sachant que nos vallons, où l'aigle eut son domaine,
Montraient encore aux yeux une tombe romaine,
Lui que tant de débris avaient dû saturer,
Il voulut voir encore ce reste, et l'admirer ;
Et moi, l'enfant obscur, moi, l'écolier timide,
Dans ma poudre et mon ombre il me choisit pour guide.
Nous allions : — à travers la plaine aux verts sillons,
A travers les coteaux et les bois, nous allions.