Poésie : Leïla
Titre : Leïla
Poète : Théodore de Banville (1823-1891)
Il semble qu'aux sultans Dieu même
Pour femmes donne ses houris.
Mais, pour moi, la vierge qui m'aime,
La vierge dont je suis épris, ―
Les sultanes troublent le monde
Pour accomplir un de leurs vœux. ―
La vierge qui m'aime est plus blonde
Que les sables sous les flots bleus.
Le duvet où leur front sommeille
Au poids de l'or s'amoncela. ―
Rose, une rose est moins vermeille
Que la bouche de Leïla.
Elles ont la ceinture étroite,
Les perles d'or et le turban. ―
Sa taille flexible est plus droite
Que les cèdres du mont Liban !
Le hamac envolé se penche
Et les berce en son doux essor. ―
L'étoile au front des cieux est blanche,
Mais sa joue est plus blanche encor.
Elles ont la fête nocturne
Aux lueurs des flambeaux tremblants. ―
Ses bras comme des anses d'urne
S'arrondissent polis et blancs.
Elles ont de beaux bains de marbre
Où sourit le ciel étoilé. ―
Comme elle dormait sous un arbre,
J'ai vu son beau sein dévoilé.
Chaque esclave au tyran veut plaire
Comme chaque fleur au soleil. ―
Elle n'a pas eu de colère
Quand j'ai troublé son cher sommeil,
Dans leurs palais d'or, prisons closes,
Leurs chants endorment leurs ennuis. ―
Elle m'a dit tout bas des choses
Que je rêve tout haut les nuits !
Sa Hautesse les a d'un signe.
Il est le seul et le premier. ―
Ses bras étaient comme la vigne
Qui s'enlace aux bras du palmier !
Quand un seul maître a cent maîtresses,
Un jour n'a pas de lendemain. ―
Elle m'inondait de ses tresses
Pleines d'un parfum de jasmin !
Ce sont cent autels pour un prêtre,
Ou pour un seul char cent essieux. ―
Nous avons cru voir apparaître
La neuvième sphère des cieux !
Quelquefois les sultanes lèvent
Un coin de leur voile en passant. ―
Nous avions l'extase que rêvent
Les élus du Dieu tout-puissant !
Mais ce crime est la perte sûre
Des amants, toujours épiés. ―
Laissez-moi baiser sa chaussure
Et mettre mon front sous ses pieds !