Poésie : Cris d'aveugle
Titre : Cris d'aveugle
Poète : Tristan Corbière (1845-1875)
Sur l'air bas-breton Ann hini goz.
L'œil tué n'est pas mort
Un coin le fend encor
Encloué je suis sans cercueil
On m'a planté le clou dans l'œil
L'œil cloué n'est pas mort
Et le coin entre encor
Deus misericors
Deus misericors
Le marteau bat ma tête en bois
Le marteau qui ferra la croix
Deus misericors
Deus misericors
Les oiseaux croque-morts
Ont donc peur à mon corps
Mon Golgotha n'est pas fini
Lamma lamma sabacthani
Colombes de la Mort
Soiffez après mon corps
Rouge comme un sabord
La plaie est sur le bord
Comme la gencive bavant
D'une vieille qui rit sans dent
La plaie est sur le bord
Rouge comme un sabord
Je vois des cercles d'or
Le soleil blanc me mord
J'ai deux trous percés par un fer
Rougi dans la forge d'enfer
Je vois un cercle d'or
Le feu d'en haut me mord
Dans la moelle se tord
Une larme qui sort
Je vois dedans le paradis
Miserere, De profundis
Dans mon crâne se tord
Du soufre en pleur qui sort
Bienheureux le bon mort
Le mort sauvé qui dort
Heureux les martyrs, les élus
Avec la Vierge et son Jésus
Ô bienheureux le mort
Le mort jugé qui dort
Un Chevalier dehors
Repose sans remords
Dans le cimetière bénit
Dans sa sieste de granit
L'homme en pierre dehors
A deux yeux sans remords
Ho je vous sens encor
Landes jaunes d'Armor
Je sens mon rosaire à mes doigts
Et le Christ en os sur le bois
À toi je baye encor
Ô ciel défunt d'Armor
Pardon de prier fort
Seigneur si c'est le sort
Mes yeux, deux bénitiers ardents
Le diable a mis ses doigts dedans
Pardon de crier fort
Seigneur contre le sort
J'entends le vent du nord
Qui bugle comme un cor
C'est l'hallali des trépassés
J'aboie après mon tour assez
J'entends le vent du nord
J'entends le glas du cor
Menez Arrez.