Poésie : Le sacre
Titre : Le sacre
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
(Sur l'air de Malbrouck.)
Dans l'affreux cimetière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dans l'affreux cimetière
Frémit le nénuphar.
Castaing lève sa pierre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Castaing lève sa pierre
Dans l'herbe de Clamar,
Et crie et vocifère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et crie et vocifère :
Je veux être césar !
Cartouche en son suaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Cartouche en son suaire
S'écrie ensanglanté
— Je veux aller sur terre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux aller sur terre
Pour être majesté !
Mingrat monte à sa chaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Mingrat monte à sa chaire,
Et dit, sonnant le glas :
— Je veux, dans l'ombre où j'erre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dans l'ombre où j'erre
Avec mon coutelas,
Etre appelé : mon frère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Etre appelé : mon frère,
Par le czar Nicolas !
Poulmann, dans l'ossuaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Poulmann dans l'ossuaire
S'éveillant en fureur,
Dit à Mandrin : — Compère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dit à Mandrin : — Compère,
Je veux être empereur !
— Je veux, dit Lacenaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dit Lacenaire,
Etre empereur et roi !
Et Soufflard déblatère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et Soufflard déblatère,
Hurlant comme un beffroi :
— Au lieu de cette bière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Au lieu de cette bière,
Je veux le Louvre, moi
Ainsi, dans leur poussière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Ainsi, dans leur poussière,
Parlent les chenapans.
— Çà, dit Robert Macaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
— Ça, dit Robert Macaire,
Pourquoi ces cris de paons ?
Pourquoi cette colère ?
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Pourquoi cette colère ?
Ne sommes-nous pas rois ?
Regardez, le saint-père,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Regardez, le saint-père,
Portant sa grande croix,
Nous sacre tous ensemble,
Ô misère, ô douleur, Paris tremble !
Nous sacre tous ensemble
Dans Napoléon trois !